Affaire eBay : la justice européenne moins favorable aux places de marché qu’aux moteurs de recherche
Publié le 12/07/2011 par Etienne Wery
L’exploitant perd son exonération de responsabilité s’il a joué un tel « rôle actif » de nature à lui conférer une connaissance ou un contrôle des données relatives aux offres litigieuses, ou s’il n’agit pas quand il a connaissance de faits ou de circonstances sur la base desquels un opérateur économique diligent aurait dû constater l’illicéité des offres à la vente en ligne. Les juridictions nationales doivent pouvoir enjoindre à ces sociétés de prendre des mesures visant non seulement à mettre fin aux atteintes portées aux droits de la propriété intellectuelle mais aussi à prévenir de nouvelles atteintes de cette nature.
Les faits et la question préjudicielle
La société eBay exploite une place de marché électronique mondiale sur Internet, sur laquelle les particuliers et les entreprises peuvent acheter et vendre une grande variété de produits et de services.
L’Oréal est titulaire d’une gamme étendue de marques qui jouissent d’une renommée. La distribution de ses produits (surtout des cosmétiques et des parfums) s’effectue au moyen d’un réseau fermé de distribution, dans le cadre duquel il est interdit aux distributeurs agréés de fournir des produits à d’autres distributeurs.
L’Oréal reproche à eBay d’être impliquée dans des infractions au droit des marques, commises par des utilisateurs de son site. Par ailleurs, en achetant auprès de services payants de référencement sur Internet (tel que le système AdWords de Google) des mots-clés correspondant aux noms des marques de L’Oréal, eBay dirige ses utilisateurs vers des produits contrevenant au droit des marques, proposés à la vente sur son site Internet. De plus, L’Oréal estime que les efforts fournis par eBay pour empêcher la vente des produits de contrefaçon sur son site sont inadéquats. L’Oréal a identifié différentes formes d’infractions, au nombre desquelles figure la vente et l’offre à la vente, à des consommateurs dans l’Union, de produits de marques de L’Oréal destinées, par celle-ci, à la vente dans des États tiers (importation parallèle).
La High Court (Royaume-Uni), devant laquelle le litige est en instance, a posé plusieurs questions à la Cour de justice sur les obligations qui peuvent incomber à une société exploitant une place de marché sur Internet afin d’empêcher ses utilisateurs de commettre des infractions au droit des marques.
Une distinction importante sur les ventes à titre privé ou commercial
La Cour souligne, à titre liminaire, que le titulaire de la marque ne peut invoquer son droit exclusif vis-à-vis d’une personne physique qui vend en ligne des produits de marque que lorsque ces ventes se situent dans le contexte d’une activité commerciale. Il en va ainsi, notamment, si les ventes dépassent, en raison de leur volume et de leur fréquence, la sphère d’une activité privée.
Application du droit de l’Union
La Cour se prononce tout d’abord sur les actes commerciaux dirigés vers l’Union au moyen de places de marché en ligne telle qu’eBay. Elle constate que les règles de l’Union en matière de marques s’appliquent aux offres à la vente et aux publicités portant sur des produits de marque se trouvant dans des État tiers, dès qu’il s’avère que ces offres et ces publicités sont destinées à des consommateurs de l’Union.
Il incombe aux juridictions nationales d’apprécier, au cas par cas, s’il existe des indices pertinents pour conclure que l’offre à la vente ou la publicité affichée sur une place de marché en ligne est destinée à des consommateurs de l’Union. Par exemple, les juridictions nationales pourront tenir compte des zones géographiques vers lesquelles le vendeur est prêt à envoyer le produit.
Une exonération de responsabilité sous très haute surveillance
Ensuite, la Cour juge que l’exploitant d’une place de marché sur Internet ne fait pas lui-même une utilisation des marques au sens de la législation de l’Union s’il fournit un service consistant simplement à permettre à ses clients de faire apparaître dans le cadre de leurs activités commerciales, sur son site, des signes correspondant à des marques.
Par ailleurs, la Cour précise certains éléments concernant la responsabilité de l’exploitant d’une place de marché en ligne. Tout en relevant que cette appréciation appartient aux juridictions nationales, la Cour considère que l’exploitant joue un rôle actif de nature à lui conférer une connaissance ou un contrôle des données relatives à ces offres, lorsqu’il prête une assistance consistant notamment à optimiser la présentation des offres à la vente en ligne ou à promouvoir ces offres.
Lorsque l’exploitant a joué un tel « rôle actif », il ne peut pas se prévaloir de l’exonération de responsabilité que le droit de l’Union octroie, dans certaines conditions, à des fournisseurs de services en ligne tels que des exploitants de places de marché sur Internet.
Par ailleurs, même dans les cas où ledit exploitant n’a pas joué un tel rôle actif, il ne saurait se prévaloir de ladite exonération de sa responsabilité s’il a eu connaissance de faits ou de circonstances sur la base desquels un opérateur économique diligent aurait dû constater l’illicéité des offres à la vente en ligne et, dans l’hypothèse d’une telle connaissance, n’a pas promptement agi pour retirer les données en cause de son site ou rendre l’accès à ces données impossible.
La Cour se prononce enfin sur la question des injonctions judiciaires qui peuvent être prises à l’encontre de l’exploitant d’une place de marché en ligne lorsqu’il ne décide pas, de sa propre initiative, de faire cesser les atteintes aux droits de la propriété intellectuelle et d’éviter que ces atteintes ne se reproduisent.
Ainsi, il peut être enjoint à cet exploitant de prendre des mesures permettant de faciliter l’identification de ses clients vendeurs. À cet égard, s’il est certes nécessaire de respecter la protection des données à caractère personnel, il n’en demeure pas moins que, lorsque l’auteur de l’atteinte opère dans la vie des affaires, et non dans la vie privée, il doit être clairement identifiable.
Par conséquent, la Cour estime que le droit de l’Union exige des États membres d’assurer que les juridictions nationales compétentes en matière de protection des droits de la propriété intellectuelle puissent enjoindre à l’exploitant de prendre des mesures qui contribuent, non seulement à mettre fin aux atteintes portées à ces droits par les utilisateurs, mais aussi à prévenir de nouvelles atteintes de cette nature. Ces injonctions doivent être effectives, proportionnées, dissuasives et ne doivent pas créer d’obstacles au commerce légitime.
(source : CJUE; affaire C-324/09)