AdWords : la Cour de l’Union précise la portée de la protection des marques
Publié le 21/09/2011 par Etienne Wery
Arrêt très attendu que celui-ci, qui finalise le tour de piste de la Cour de justice en matière d’AdWords. La cour a fait preuve d’une constance qui bouleverse assez profondément les règles habituelles en droit des marques. Il est dorénavant acquis que la contrefaçon par simple ‘reproduction de marque’, chère au droit français, ne suffit pas. Il faut vérifier s’il est porté atteinte à l’une des « fonctions » de la marque ou s’il y a un acte de parasitisme.
La société americaine Interflora Inc. exploite un réseau mondial de livraison de fleurs. Interflora British Unit est titulaire d’une licence conférée par Interflora Inc. Le réseau d’Interflora est constitué de fleuristes auprès desquels les clients peuvent, en personne, par téléphone ou par Internet, effectuer des commandes, ces dernières étant exécutées par le membre du réseau le plus proche du lieu de livraison des fleurs.
INTERFLORA est une marque nationale au Royaume-Uni ainsi qu’une marque communautaire. Ces marques jouissent d’une renommée importante au Royaume-Uni et dans d’autres États membres de l’Union européenne.
Marks & Spencer (« M & S »), société de droit anglais, est l’un des principaux détaillants au Royaume-Uni. L’un de ces services consiste dans la vente et la livraison de fleurs, cette activité commerciale étant ainsi en concurrence avec celle d’Interflora.
Il s’avère que M & S, dans le cadre du service de référencement « AdWords » de Google, a sélectionné le terme « Interflora » et ses variantes, à savoir « Interflora Flowers », « Interflora Delivery », « Interflora.com », « Interflora co uk », etc. en tant que mots clés. Par conséquent, lorsqu’un internaute entre le mot « Interflora » ou l’une de ces variantes comme terme de recherche dans le moteur de recherche Google, une annonce de M & S apparaissait.
La High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (Royaume-Uni), devant laquelle Interflora a introduit un recours pour violation de ses droits de marque contre M & S, interroge la Cour de justice sur plusieurs aspects de l’usage non consenti par un concurrent, dans le cadre d’un service de référencement sur Internet, des mots-clés identiques à une marque.
La Cour rappelle tout d’abord qu’en cas d’usage par un tiers d’un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels elle est enregistrée, le titulaire de la marque est habilité à interdire cet usage seulement si celui-ci est susceptible de porter atteinte à l’une des « fonctions » de la marque. Sa fonction essentielle est de garantir aux consommateurs la provenance du produit ou du service couvert par la marque (fonction d’indication d’origine), les autres fonctions étant, notamment, celles de publicité et d’investissement. La Cour souligne, à cet égard, que la fonction d’indication d’origine de la marque n’est pas la seule fonction de celle-ci digne de protection contre les atteintes par des tiers. En effet, une marque constitue souvent – outre une indication de la provenance des produits ou des services – un instrument de stratégie commerciale employé, en particulier, à des fins publicitaires ou pour acquérir une réputation afin de fidéliser le consommateur.
Faisant référence à sa jurisprudence Google, la Cour rappelle qu’il y a atteinte à la fonction d’indication d’origine de la marque lorsque l’annonce affichée à partir du mot clé correspondant à la marque ne permet pas ou permet seulement difficilement à l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif de savoir si les produits ou les services visés par l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d’un tiers. Par contre, l’usage d’un signe identique à une marque d’autrui dans le cadre d’un service de référencement, tel qu’« AdWords », ne porte pas atteinte à la fonction de publicité de la marque.
Par ailleurs, la Cour examine, pour la première fois, la protection de la fonction d’investissement de la marque. Ainsi, porte atteinte à cette fonction, l’usage par un concurrent d’un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques lorsque cet usage gêne de manière substantielle l’emploi, par le titulaire, de sa marque pour acquérir ou conserver une réputation susceptible d’attirer et de fidéliser des consommateurs. Dans une situation où la marque bénéficie déjà d’une réputation, il est porté atteinte à la fonction d’investissement lorsque cet usage affecte cette réputation et met ainsi en péril le maintien de celle-ci.
En revanche, il ne saurait être admis que le titulaire d’une marque puisse s’opposer à un tel usage par un concurrent, si cet usage a pour seule conséquence d’obliger le titulaire de cette marque à adapter ses efforts pour acquérir ou conserver une réputation susceptible d’attirer et de fidéliser les consommateurs. De la même manière, la circonstance que cet usage conduise certains consommateurs à se détourner des produits ou des services revêtus de ladite marque ne saurait être utilement invoquée par le titulaire de cette dernière.
En espèce, il appartient à la juridiction nationale de vérifier si l’usage, par M & S, du signe identique à la marque INTERFLORA met en péril le maintien, par Interflora, d’une réputation susceptible d’attirer et de fidéliser des consommateurs.
Interrogée également sur la protection renforcée des marques renommées, et en particulier sur la portée des notions de « dilution » (préjudice au caractère distinctif de la marque renommée) et de « parasitisme » (profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de la marque), la Cour constate entre autres que la sélection sans « juste motif », dans le cadre d’un service de référencement, de signes identiques ou similaires à une marque renommée d’autrui peut s’analyser comme un acte de parasitisme. Une telle conclusion peut notamment s’imposer dans des cas où des annonceurs sur Internet offrent à la vente, moyennant la sélection de mots clés correspondant à des marques renommées, des produits qui sont des imitations des produits du titulaire desdites marques.
En revanche, lorsque la publicité affichée sur Internet à partir d’un mot clé correspondant à une marque renommée propose une alternative par rapport aux produits ou aux services du titulaire de la marque renommée – sans offrir une simple imitation des produits ou des services du titulaire de cette marque, sans entraîner la dilution de cette dernière ou sans porter préjudice à sa renommée (ternissement) et sans au demeurant porter atteinte aux fonctions de ladite marque – un tel usage relève, en principe, d’une concurrence saine et loyale dans le secteur des produits ou des services concernés.
(source : Cour de justice)