Adwords de Google. L’affaire Rencontres 2000 ajoute à la confusion
Publié le 27/02/2007 par Bertrand Pautrot
Depuis plus d’un an, il ne se passe pas un mois sans qu’une juridiction française ne rende une décision relative aux liens commerciaux fournis par le service AdWords de la société Google. La dernière en date est celle rendue par le Tribunal de Grande Instance de Paris le 13 février 2007 dans une affaire «…
Depuis plus d’un an, il ne se passe pas un mois sans qu’une juridiction française ne rende une décision relative aux liens commerciaux fournis par le service AdWords de la société Google. La dernière en date est celle rendue par le Tribunal de Grande Instance de Paris le 13 février 2007 dans une affaire « Rencontres 2000 » opposant un dénommé Laurent C. à la société Google.
En l’espèce, Laurent C. exploitait un site internet d’échanges et de rencontres sous le nom de domaine « rencontres2000.com » déposé à titre de marque pour les produits et services des classes 38, 41 et 42. Après avoir constaté qu’une requête dans le moteur de recherche de la société Google sur le mot-clé « rencontres 2000 » faisait apparaître un lien commercial pointant vers le site de son principal concurrent, la société Ilius exploitant le site Meetic, Laurent C. assigna le moteur de recherche sur le fondement de la contrefaçon, de l’usurpation de nom commercial et de nom de domaine, de la concurrence déloyale, du parasitisme et de la responsabilité civile de droit commun.
Tout l’intérêt de cette nouvelle décision réside dans le rejet des prétentions du demandeur en matière de contrefaçon de marque et la reconnaissance d’une faute au sens de l’article 1382 du Code civil à l’égard de la société Google entraînant sa responsabilité civile de droit commun. Naturellement, à première lecture, cette position semble ne pas être surprenante de la part des juges du TGI de Paris. En effet, cette solution est celle qui oppose les juridictions du premier degré telles que le TGI de Paris aux cours d’appel, notamment celle de Paris, plus enclines à sanctionner les fournisseurs de liens sur le fondement de la contrefaçon de marque. Toutefois, si cette nouvelle décision du TGI de Paris reprend une solution antérieure consacrée par cette juridiction, le raisonnement juridique tenu par les juges de Paris diffère quelque peu.
Les motifs du rejet de la contrefaçon de marque
En premier lieu, concernant l’usage du mot Rencontres 2000 par le générateur de mots-clés de Google, les juges relèvent que « les services exploités par la société Google ne sont ni identiques, ni similaires aux services exploités par Monsieur C… au travers de sa marque ». Dès lors, la demande en contrefaçon de marque par reproduction et par imitation sur les fondements respectifs des articles L.713-2 et L.713-3 du Code de la propriété intellectuelle est naturellement rejetée.
Toutefois, dans une décision « Gifam » rendue par ce même tribunal le 12 juillet 2006, les juges n’avaient pas exactement raisonné de la même manière concernant l’usage de la marque par le générateur de mots-clés. En effet, ceux-ci avaient relevé que « la société Google ne fait pas un usage illicite de marques car lorsque l’outil suggère le nom d’une marque, Google ne sait pas a priori si l’annonceur va choisir cette marque et dans l’hypothèse d’un choix si son client est autorisé à l’utiliser […] » (TGI Paris, 12 juillet 2006, GIFAM et autres c/ Google France). Dès lors, loin d’analyser si l’usage des marques entrait dans les prévisions des dispositions réprimant la contrefaçon, les juges avaient conclu que l’illicéité de l’usage d’une marque ne peut être constatée qu’après le choix de l’annonceur d’user de la marque à titre de mot-clé. Ainsi, l’usage d’une marque par le générateur était considéré comme licite dans tous les cas.
Ce n’est pas la conclusion que l’on peut tirer de la présente espèce qui exonère Google de toute responsabilité en matière de contrefaçon en raison de son activité différente de celles pour lesquelles a été déposée la marque. Dès lors, et a contrario, la contrefaçon pourrait être retenue en cas d’usage d’une marque à titre de mot-clé déposée pour des services publicitaires, activité attribuée en l’espèce à la société Google dans le cadre de son service AdWords… Enfin, il convient de souligner que la présente espèce analyse seulement l’usage de la marque par le générateur de mot-clé et non lors de l’affichage des noms commerciaux à l’inverse de la décision rendue dans l’affaire « Gifam ». Il aurait été, néanmoins, intéressant que cette présente décision se prononce sur ce dernier point.
Des nouveaux contours à l’obligation de contrôle a priori de la société Google
En second lieu, le TGI de Paris pose comme principe que « dès lors que la société Google propose comme mots-clés des signes et en fait un usage commercial, elle se doit de vérifier qu’ils ne sont pas objet de droits privatifs et si tel est le cas, vis-à-vis des titulaires de ceux-ci, de vérifier que ses annonceurs sont bien autorisés à les utiliser ». Dès lors, en n’effectuant pas de contrôle préalable en l’espèce, le moteur de recherche engage sa responsabilité civile de droit commun.
Une nouvelle fois, les juges du TGI de Paris semblent avoir modifié leur analyse antérieure bien qu’aboutissant à la même conclusion. Dans l’affaire « Gifam » précitée, les juges avaient caractérisé la faute de Google en relevant que « à aucun moment dans la procédure de souscription au système AdWords, Google ne permet à l’annonceur de vérifier […] la disponibilité du mot-clé » avant d’ajouter que « Google a engagé sa responsabilité civile du fait de son absence d’examen préalable […] et ce d’autant que les signes incriminés sont tous des marques de renommée ». Dès lors, suite à cette décision, l’on aurait pu penser que Google était soumis à une double obligation de proposer aux annonceurs un dispositif permettant de vérifier la disponibilité des mots-clés et d’effectuer un contrôle préalable de la licéité de l’usage des marques connues. D’ailleurs, cette dernière composante de l’obligation était en parfait accord avec un arrêt rendu par la cour d’appel de Versailles le 10 mars 2005 dans l’affaire « Viaticum et Luteciel » qui considéra que Google devait être en mesure d’interdire l’usage de mots-clés qui contrefont des marques notoires (CA Versailles, 10 mars 2005, Google France c/ Viaticum et Luteciel).
Quant à la décision rendue par la présidente du TGI de Paris dans l’affaire « Citadines » le 11 octobre dernier, celle-ci ne mettait à la charge de Google que la première composante de l’obligation décrite précédemment à savoir la mise en place d’« un outil de contrôle a priori » à la disposition des annonceurs (TGI Paris, référé, 11 octobre 2006, SA Citadines c/ Sté Google Inc et Sarl Google France).
Dans la présente espèce, les juges proposent une troisième conception de l’obligation pesant sur la société Google. Ainsi, le moteur de recherche serait tenu de vérifier pour chaque mot-clé proposé, la disponibilité de ceux-ci en tant que marque. Dès lors, le TGI de Paris semble être plus sévère vis-à-vis du fournisseur de liens commerciaux qu’auparavant. En cela, il se rapproche de la décision rendue par le Tribunal de Commerce de Paris le 24 novembre 2004 dans l’affaire « OneTel » dans laquelle les juges ont sanctionné le moteur de recherche pour ne pas avoir vérifié l’absence de droits de tiers sur le mot-clé.
Si pour le moment, les liens commerciaux suscitaient des contradictions entre les juridictions françaises, l’évolution du contentieux en la matière tend vers des dissemblances au sein des décisions d’une même juridiction. En cela, la sécurité juridique n’est absolument pas garantie en la matière.
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